LA DESTINÉE DU CORPS
Le corps humain subit un processus de décomposition et de reconstruction continuel. Sa forme astrale est moulée d'abord dans la matrice maternelle où des matériaux lui arrivent sans cesse et de toutes parts. À chaque instant, des molécules microscopiques se séparent du corps, et d'autres, non moins microscopiques, viennent s'y unir ; et ces flots d'atomes invisibles qui s'échappent ainsi, se répandent dans l'ambiance, et servent à construire d'autres corps appartenant aux règnes animal, végétal, minéral ou humain, car la base physique de tous ces corps est la même.
"L'idée que le tabernacle humain, comme la croute rocailleuse de notre terre, est composé d'un nombre infini d'autres "vies", n'a rien qui répugne au vrai mystique… La science nous apprend que l'organisme de l'homme et celui de l'animal, mort ou vivant, fourmillent de bactéries de centaines d'espèces différentes ; que, [25] chaque fois que nous respirons, nous sommes menacés, au dehors, par une invasion de microbes ; au dedans, par les leucomaïnes, aérobies, anaérobies et bien d'autres genres encore. Mais la science n'a jamais encore été aussi loin que la Doctrine Occulte, laquelle affirme que nos corps, aussi bien que ceux des animaux, des plantes et des pierres, sont formés par l'agrégation de ces microbes, qui jusqu'à présent, à l'exception de quelques-unes de leurs espèces les plus volumineuses, sont restés invisibles aux meilleurs microscopes. En ce qui concerne la partie purement animale et matérielle de l'homme, la science est en train de faire des découvertes qui corroboreront cette théorie. La chimie et la physiologie sont les deux grands magiciens destinés à ouvrir, dans l'avenir, les yeux de l'humanité à ces grandes vérités physiques. Tous les jours, l'identité entre l'animal et l'homme physique, entre la plante et l'homme, et même entre le reptile et son nid, ou entre le rocher et l'homme, est prouvée d'une façon de plus en plus irrévocable. On a découvert que les éléments physiques et chimiques qui forment tous les êtres sont identiques ; et la chimie peut dire, avec raison, qu'il n'y a aucune différence entre la matière qui compose le boeuf et celle qui forme l'homme. Mais la Doctrine Occulte est bien plus explicite. Elle dit : Non seulement les composés chimiques, mais aussi les vies invisibles et microscopiques qui composent les atomes du corps sont les mêmes, qu'il s'agisse de la montagne ou de la pâquerette, de l'homme ou de la fourmi, de l'éléphant ou de l'arbre qui l'abrite du soleil. Chaque particule, – qu'on l'appelle organique ou inorganique, – est une vie." 7 [26]
7 Secret Doctrine, vol. I, p. 281.
8 Secret Doctrine, vol. I, p. 283.
Ces "vies" qui, lorsqu'elles sont séparées et indépendantes appartiennent au plan de la vie prânique, forment, lorsqu'elles sont agrégées, les molécules et les cellules du corps physique ; elles sortent du corps et y rentrent incessamment pendant toute la vie terrestre, formant ainsi un intermédiaire continu entre l'homme et ce qui l'entoure. Ces vies sont contrôlées, à leur tour, par les "Vies de feu", appelées aussi les "Dévorateurs", qui les obligent à reconstruire sans cesse les cellules du corps, de sorte qu'elles travaillent avec ordre et harmonie, subordonnées à la haute manifestation de la vie dans l'organisme complexe qu'on appelle l'homme. Ces vies de feu, – dans leurs fonctions directrices et organisatrices, – correspondent, sur notre plan terrestre, à la "Vie Une de l'Univers" 8 et, lorsqu'elles cessent de remplir leurs fonctions, les vies inférieures déséquilibrées commencent le travail de décomposition dans ce corps qui, jusque-là, était un organisme complet. Pendant la vie du corps, on peut les comparer à une armée marchant les rangs serrés, sous les ordres d'un général, et exécutant les diverses manoeuvres d'un pas rapide [27] et comme un seul homme. Á la mort, elles ressemblent à une populace tumultueuse et désordonnée qui, ne reconnaissant plus aucune autorité, court çà et là, se bousculant, s'écrasant sans but définitif. Le corps n'est jamais aussi vivant que lorsqu'il est mort ; mais il est vivant dans ses unités, et mort dans sa totalité. Il est vivant comme agrégat, et mort comme organisme.
"La science regarde l'homme comme un assemblage d'atomes réunis, temporairement, par une force mystérieuse appelée le principe de vie. Pour le matérialiste, la seule différence entre un corps vivant et un corps mort c'est que, dans le premier cas, la force est active, dans le second elle est latente. Lorsqu'elle est éteinte ou cachée complètement, les molécules obéissent à une attraction plus énergique qui les sépare et les disperse à travers l'espace. Cette dispersion est ce que nous appelons la mort, – s'il est possible de se figurer la mort, là où nous voyons les molécules qui composent le cadavre manifester une intense énergie vitale… Éliphas Lévi dit à ce sujet : "Le changement atteste le mouvement, et le seul mouvement révèle la vie. Le cadavre ne se décomposerait pas s'il était mort ; toutes les molécules qui le composent sont vivantes et s'efforcent, de se séparer." " 9
Ceux qui ont lu Les sept Principes de l'homme 10 savent que le double éthérique est [28] le véhicule de Prâna, le principe de vie, ou vitalité. C'est par le double éthérique que Prâna, comme nous l'avons dit plus haut, contrôle et coordonne les vies inférieures, et c'est lorsque le double éthérique a quitté le corps, et que le dernier lien fragile qui l'unissait à ce dernier est brisé, que la "Mort" en prend triomphalement possession.
9 Isis unveiled, vol. I, p, 480.
10 Theosophical Manuals, n° 1, de Mme Annie Besant.
Ce procédé de retrait a été observé et décrit d'une manière définitive par plusieurs clairvoyants. André Jackson Davis, "le voyant de Poughkeepsie", raconte les observations qu'il a faites sur cette fuite du corps éthérique et décrit comment il a vu le fil magnétique ne se rompre que trente-six heures après la mort apparente. D'autres ont décrit, dans les mêmes termes, comment ils ont vu un léger brouillard violet s'élever du cadavre, se condenser graduellement, prendre une forme exactement semblable à celle de la personne qui venait d'expirer, et rester liée à cette personne par un fil étincelant. La rupture de ce fil signifie que le dernier lien magnétique entre le corps physique et les autres principes de la constitution humaine est brisé. L'homme s'est dépouillé de son corps, il est délivré de la chair, il est désincarné ; six principes lui restent encore, qui [29] forment sa constitution, après que le septième, ou corps dense, ait été abandonné comme un vêtement usé.
On pourrait dire, en effet, que la mort dévêt l'homme peu à peu ; que sa partie immortelle se dépouille de ses formes extérieures, l'une après l'autre, comme le serpent se débarrasse de sa peau, comme le papillon sort de sa chrysalide, et que, passant ainsi d'un état à l'autre, il atteint un degré de conscience plus élevé.
De plus, c'est un fait bien constaté que, même pendant la vie terrestre, on peut abandonner le corps physique et passer soit dans le véhicule appelé corps du désir, corps kâmique ou astral, soit dans le corps plus éthéré encore de la Pensée, tout en conservant une pleine conscience ; de sorte que l'homme peut se familiariser avec l'état de désincarnation, et chasser la terreur qui entoure l'inconnu. Il peut, pendant qu'il est dans l'un ou l'autre de ces véhicules, se reconnaitre comme être pensant, et se prouver ainsi, à sa propre satisfaction, que la "vie" ne dépend pas de ses fonctions à travers le corps physique. Pourquoi un homme, parvenu à quitter ainsi à volonté ses corps inférieurs et ayant constaté que ce fait amenait, non l'annihilation de sa conscience personnelle, [30] mais une liberté et une intensité de vie infiniment plus grandes, pourquoi cet homme devrait-il craindre la rupture définitive de ses chaines, et la libération finale de son Égo immortel de la prison de la chair ?
Ce point de vue de la vie humaine fait partie essentielle de la philosophie ésotérique. L'homme est primitivement un être divin, une étincelle de la vie Divine. Cette flamme vivante, passant à travers le feu central, se revêt elle-même de différentes enveloppes, et s'en fait des demeures passagères, devenant ainsi la Triade, – Atmâ-Buddhi-Manas, – le reflet du Moi immortel. De cet Égo émane un rayon qui pénètre dans la matière grossière, dans le Corps des désirs ou éléments kâmiques, – la nature passionnelle, – et aussi dans le corps physique et dans le double éthérique. L'intelligence immortelle, jadis libre, mais gênée à présent par les liens matériels qui l'enchainent, travaille péniblement et laborieusement à travers les enveloppes qui la recouvrent. Dans son for intérieur, elle demeure toujours le libre oiseau du Ciel, mais ses ailes sont liées par la matière dans laquelle elle est plongée. Quand l'homme reconnait sa nature réelle, il apprend à ouvrir de temps en temps les portes de sa prison et à s'en [31] échapper. D'abord, il apprend à s'identifier avec la Triade immortelle et à s'élever au-dessus du corps et de ses passions, dans une vie purement morale et mentale. II découvre alors que le corps, quand il est dompté, ne peut plus le retenir prisonnier, et tirant les verrous de sa prison, il s'élance dans la radieuse et véritable vie de l'âme. Aussi, lorsque la mort, à son tour, vient lui rendre la liberté, il sait dans quel pays elle le mène, puisque, de sa propre volonté, il en a déjà parcouru les différents sentiers. Et, finalement, il apprend à reconnaitre ce fait d'importance capitale, que la "Vie" n'a rien à faire avec le corps physique, ni avec le plan matériel ; que l'existence vraie consiste dans la conscience intime qu'on a de son existence, et que cette vie-là n'est jamais interrompue, qu'elle ne saurait l'être, et que les courts intervalles pendant lesquels l'homme demeure sur la terre ne sont qu'une fraction infinitésimale de son existence spirituelle, fraction pendant laquelle il est moins vivant parce que de lourdes enveloppes l'accablent. Car c'est seulement pendant ces intervalles (à de rares exceptions près) qu'il perd entièrement conscience de cette existence continue, parce que, entouré par le monde des sens, il est sans cesse trompé et aveuglé par les [32] choses transitoires qu'il croit stables, par les illusions qu'il prend pour des vérités.
La lumière du soleil illumine l'univers, mais à chacune de nos incarnations nous nous éloignons de ce centre vivifiant, et nous entrons dans le crépuscule du monde physique, où notre vue s'affaiblit pendant le temps de notre captivité ; à la mort, nous sortons de notre prison, et nous retournons de nouveau dans la partie illuminée par le soleil, et là, nous sommes véritablement plus près de la Réalité. Les périodes de crépuscules sont courtes et celles où brille le soleil sont longues ; mais, pendant les périodes d'aveuglement, nous appelons le crépuscule la vie, et cette vie nous semble être la véritable existence, tandis que nous donnons le nom de mort à cette période éclairée par le soleil, et nous tremblons à l'idée que nous devons y entrer.
Giordano Bruno, un des plus grands maitres de notre philosophie au Moyen Age, était dans le vrai en ce qui touche l'homme et son corps. Il dit au sujet de l'Homme véritable :
"Il est présent dans le corps de telle manière que la meilleure partie de lui-même en est absente, et se joint par un sacrement indissoluble aux choses divines, de sorte qu'il ne ressent plus ni amour, ni haine pour les choses [33] mortelles. Il se considère comme le maitre, et, par conséquent, comme ne devant être ni l'esclave, ni le serviteur de son corps, qu'il regarde seulement comme la prison qui lui ravit la liberté, la glu dont ses ailes sont enduites, les chaines dont ses pieds et ses mains sont chargés, le voile qui l'empêche de voir. Il ne faut pas qu'il soit esclave, captif, enchainé, asservi, paresseux, alourdi, aveugle, car le corps qu'il peut quitter à volonté, ne saurait le tyranniser ; de sorte que, jusqu'à un certain point, l'esprit
lui apparait comme le monde corporel, et la matière est soumise à la divinité et à la nature." 11
Lorsque nous parvenons à dominer le corps et à le considérer comme un esclave, nous devenons libres, et la mort n'a plus de terreurs pour nous, et quand elle viendra nous toucher, nous lui abandonnerons avec joie notre enveloppe mortelle et nous nous trouverons debout et libres.
C'est dans le même sens que le D° Franz Hartmann a écrit :
"D'après certaines opinions ayant cours en Occident, l'homme serait un singe perfectionné. L'opinion des Sages indous, d'accord avec celle des philosophes du passé et avec les enseignements des mystiques chrétiens, est que l'homme est un Dieu que les forces passionnelles ont uni, [34] pendant la vie terrestre, avec un animal (sa nature animale). Le Dieu intérieur dote l'homme de sagesse ; l'animal lui donne la force. Après la mort, le Dieu se libère lui-même de l'homme en quittant le corps animal. Comme l'homme porte en lui cette conscience divine, il est de son devoir de lutter avec cette aide divine contre les inclinations animales, et de s'élever au-dessus d'elles ; l'animal ne saurait accomplir cette tâche, et, par conséquent, elle n'est pas exigée de lui." 12
11 The Heroïc Enthusiasts, trad. par L. Williams, part. II, pp. 22-23.
12 Cremation, Theosophical Siftings, Vol. III.
L' "homme", – si nous prenons ce terme au sens de la personnalité, sens qui lui est donné dans la dernière moitié de cette citation, – n'est que conditionnellement immortel ; lorsque le véritable homme, le Dieu, a regagné sa liberté, une partie plus ou moins grande de la personnalité, – ce qui en elle a participé à la nature divine, – vient s'unir à lui.
Le corps est abandonné alors aux vies innombrables qui, lorsqu'elles ne sont plus soumises à Prâna, dont l'action s'exerce par son véhicule le double éthérique, se débandent et commencent l'oeuvre de destruction. À mesure que les cellules et les molécules se décomposent, leurs particules invisibles vont former d'autres corps.
Il se peut qu'à notre retour sur la terre nous [35] rencontrions de nouveau de ces innombrables vies qui, dans une incarnation précédente, firent de notre corps leur demeure passagère ; mais ceci nous éloignerait de notre sujet et ce qui nous intéresse, pour le moment, c'est la destruction du corps qui a terminé sa courte vie et dont la destinée est de se décomposer complètement. Donc, pour le corps dense, considéré comme organisme, la mort signifie : dissolution, rupture des liens qui unissent un nombre infini de vies en une seule vie.