LA DOCTRINE SECRETE VOL 5

SECTION XXXIV - LES SUCCESSEURS POST-CHRETIENS DES MYSTERES

SECTION XXXIV

LES SUCCESSEURS POST-CHRETIENS DES MYSTERES

 

Les Mystères d'Eleusis n'étaient plus. Et pourtant ce sont eux qui donnèrent ses traits principaux à l'Ecole Néo-Platonicienne d'Ammonius Saccas, dont le Système Eclectique était principalement caractérisé par sa Théurgie et son extase. C'est Jamblique qui y ajouta la doctrine égyptienne de Théurgie avec ses pratiques, et ce fut le juif Porphyre qui s'opposa à l'introduction de ce nouvel élément. Cependant l'Ecole, à quelques rares exceptions près, pratiquait l'ascétisme et la contemplation, et ses mystiques étaient soumis à une discipline aussi rigoureuse que celle du dévot Hindou. Leurs efforts ne tendaient pas tant à développer avec succès la pratique de la thaumaturgie, de la nécromancie ou de la sorcellerie – comme on les en accuse aujourd'hui – mais visaient plutôt à évoluer les qualités supérieures de l'homme intérieur, l'Ego Spirituel. L'école tenait pour acquis qu'un certain nombre d'êtres spirituels, habitants de sphères tout à fait indépendantes de la terre et du cycle humain, servaient de médiateurs entre les "Dieux" et les hommes et même entre l'homme et l'Ame Suprême. Pour parler plus clairement, l'âme de l'homme devenait, grâce à l'assistance des Esprits Planétaires, "le réceptacle de l'âme du monde", suivant l'expression d'Emerson. Apollonius de Tyane affirmait qu'il possédait ce pouvoir en prononçant ces paroles (citées par le professeur Wilder dans son New Platonism) :

Je puis voir le présent et l'avenir dans un clair miroir. Le sage [l'Adepte] n'a pas besoin d'attendre les vapeurs de la terre et la corruption de l'air pour prévoir les épidémies et les fièvres ; il doit les connaître après Dieu, mais avant les hommes. Les theoi ou dieux voient l'avenir ; les gens ordinaires, le présent ; les sages, ce qui est sur le point de se passer. Ma manière de vivre, pleine d'abstinence, a pour résultat une telle subtilité des sens, on crée de telles autres facultés, que les choses les plus grandes et les plus remarquables peuvent être accomplies 554.

Les commentaires du professeur A.Wilder sont remarquables :

[V 333]

 

C'est ce que l'on peut appeler de la photographie spirituelle. L'âme est la chambre noire dans laquelle sont fixés les faits et les événements passés, présents et futurs et le mental en devient conscient. Au-delà de notre monde limité de tous les jours, tout semble constituer un seul jour, un seul état – le passé et le futur compris dans le présent. C'est ce que représente probablement le "grand jour", le "dernier jour", le "jour du Seigneur", des auteurs bibliques – le jour dans lequel tout le monde passe, par la mort ou l'extase. L'âme est alors délivrée des entraves du corps et sa partie la plus noble est unie à la nature supérieure et participe à la sagesse et à la prescience des êtres supérieurs 555.

554 New Platonism and Alchemy, p. 15.

555 Loc. cit.

 

On peut se rendre compte, grâce à ce que le docteur A. Wilder dit des Théosophes Alexandrins, jusqu'à quel point le système pratiqué par les Néo-Platoniciens était identique à celui que pratiquaient les Védantins, anciens et modernes.

L'idée antérieure des Néo-Platoniciens était celle d'une unique Essence Suprême... Toutes les antiques philosophies renfermaient la doctrine suivant laquelle les θεοί, théoi, dieux ou dispensateurs, les anges, démons et autres agents spirituels émanaient de l'Etre suprême. Ammonius acceptait la doctrine des Livres d'Hermès, disant que du Tout divin procédait la Sagesse Divine ou Amour ; que de la Sagesse procédait le Démiurge ou Créateur et du Créateur les êtres spirituels subordonnés, le monde et ses habitants venant en dernier. Le premier est contenu dans le second, le premier et le second dans le troisième et ainsi de suite dans toute la série 556.

C'est là un parfait écho de la croyance des Védantins et il procède directement des enseignements secrets de l'Orient. Le même auteur dit :

Une doctrine apparentée à celle-ci est celle de la cabale juive qui était enseignée par les Pharsi ou Pharisiens qui l'empruntèrent probablement, comme semblent le suggérer la désignation de leur secte, aux Mages de la Perse. Elle est substantiellement renfermée dans le résumé suivant.

L'Etre divin est le Tout, la somme de toute existence, et Il ne peut être connu. L'Univers Le révèle et subsiste par Lui. Au commencement Son effluence jaillit partout 557. Finalement, Il se retira en Lui-même et forma ainsi autour de Lui un espace vide. Dans cet espace, Il transmit  Sa première Emanation, un Rayon renfermant en lui le pouvoir de génération et de conception ; d'où le nom IE, ou Jah. Celui-ci à son tour produisit le [V 334] tikkun, le modèle, ou idée de la forme, et dans cette émanation, qui renfermait aussi les pouvoirs mâle et femelle ou pouvoirs de génération et de conception, se trouvaient les trois forces primitives de la Lumière, de l'Esprit et de la Vie. Ce Tikkun est uni au Rayon, ou première émanation, et pénétré par lui, et par cette union il est aussi en perpétuelle communication avec la source infinie. C'est le modèle, l'homme primitif, l'Adam Kadmon, le macrocosme de Pythagore et d'autres philosophes. De lui procèdent les Séphiroth. Des Séphiroth émanèrent à leur tour les quatre mondes, chacun procédant de celui qui se trouvait immédiatement au- dessus de lui et l'inférieur enveloppant le supérieur. Ces mondes devinrent moins purs à mesure qu'ils descendaient l'échelle et le plus bas de tous est le monde matériel 558.

556 Op. cit., pp. 9, 10.

557 Cette Effluence et Essence Divine, c'est la lumière du Logos seulement les Védantins n'emploieraient pas le pronom "Il", mais diraient "cela".

558 Loc. cit., note, p. 10.

 

Cet énoncé voilé de l'Enseignement Secret doit être maintenant clair pour tous nos lecteurs. Ces mondes sont :  

Le premier Aziluth, peuplé des plus pures émanations [la première, et quasi spirituelle, Race d'êtres humains, destinées à habiter] la Quatrième ; le second, Bériah, ayant une population d'un ordre inférieur, serviteurs des premiers [la seconde Race] ; le troisième, Jésirah, peuplé de chérubins et de séraphins, les Elohim et B'ne Elohim ["Fils de Dieu" ou Elohim, notre troisième Race]. Le quatrième monde, Asiah, est habité par les Klipputh, dont Bélial est le chef [les Sorciers Atlantes] 559.

Les mondes sont tous les doubles terrestres de leurs prototypes célestes, les ombres et les reflets mortels et temporaires des races plus durables, sinon éternelles, qui habitent d'autres mondes, pour nous invisibles. Les âmes des hommes de notre Cinquième Race tirent leurs éléments de ces quatre mondes – Race-Racine – qui  précédèrent  les nôtres : à savoir, notre intellect, Manas, le cinquième principe, nos passions et nos appétits mentaux et corporels. Un conflit appelé "guerre dans le Ciel" s'étant élevé parmi nos mondes prototypes, une guerre eut lieu, bien des æons plus tard, entre les Atlantes 560 d'Asiah et ceux de la troisième Race-Racine, les B'ne Elohim ou "fils de Dieu 561" et alors le mal de la méchanceté s'identifièrent. L'humanité (durant la dernière sous-race de la troisième Race-Racine) ayant péché dans ses premiers parents [allégorie physiologique, en vérité] de l'âme desquels chaque âme humaine était une émanation, [V 335] nous dit le Zohar, les hommes furent "exilés" dans des corps plus matériels afin d'expier ce péché et de se développer en bonté.

559 Loc. cit., note.

560 Voyez Esoteric Buddhism, par A.-P. Sinnet.

561 Voyez Isis Dévoilée, vol. II, pp. 405-410. Les "Fils de Dieu" et leur guerre avec les géants et les magiciens.

 

Pour accomplir, plus tôt, le cycle de nécessité, nous explique la DOCTRINE : pour faire des progrès dans leur tâche d'évolution, tâche dont aucun de nous ne peut être exempté, ni par la mort ni par le suicide, attendu que chacun de nous doit traverser la "Vallée des Ronces" avant de pénétrer dans les plaines de la lumière divine et du repos. Et les hommes continueront donc à naître dans de nouveaux corps, jusqu'à ce qu'ils soient devenus assez purs pour entrer dans une forme supérieure d'existence.

Cela veut simplement dire que l'Humanité, depuis la première jusqu'à la dernière ou Septième Race, est composée d'une seule et même troupe d'acteurs, qui sont descendus des sphères supérieures pour accomplir leur tournée artistique sur notre planète, la Terre. Partant, comme purs esprits pour accomplir notre voyage de descente autour de la Terre (il est vrai !) avec la connaissance de la vérité – dont les Doctrines Occultes nous fournissent aujourd'hui un faible écho – inhérente en nous, la loi cyclique nous fait descendre jusqu'au sommet opposé de la matière, qui se perd ici- bas et dont nous avons déjà touché le fond, puis la même loi de gravitation spirituelle nous fera remonter lentement jusqu'à des sphères plus hautes et plus pures que celles d'où nous sommes partis.

Prévision, prophéties, pouvoir des oracles ! Fantaisies illusoires des perceptions rabougries de l'homme, qui prend pour de réelles images des reflets et des ombres et confond les réalités passées avec des images prophétiques d'un avenir qui n'a pas de place dans l'Eternité. Notre macrocosme et son plus petit microcosme, l'homme, répètent tous deux la même succession d'événements universels et individuels, à chaque station, comme sur chaque scène sur laquelle Karma les conduit pour y jouer leurs drames respectifs de la vie. Les faux prophètes n'auraient pas pu exister s'il n'y avait pas eu de vrais prophètes, aussi, à toutes les époques, y en eut-il beaucoup des deux catégories. Seulement aucun d'eux n'a jamais vu que ce qui s'était déjà passé et avait été auparavant accompli prototypiquement sur des sphères supérieures – lorsque l'événement annoncé se rapportait à un bien ou à un mal national ou publie – ou dans une vie précédente, s'il ne concernait qu'un individu, car chacun de ces événements est imprimé comme un souvenir indélébile du Passé et de l'Avenir, qui ne sont, après tout, qu'un continuel Présent dans l'Eternité. Les "mondes" et les purifications dont il est question dans le Zohar et les autres ouvrages cabalistiques, [V 336] ne se rapportent pas plus à notre monde et à nos races qu'à d'autres mondes et à d'autres races qui ont précédé la nôtre dans le grand cycle. C'est ce genre de vérités fondamentales que l'on représentait par des scènes et des images allégoriques durant les Mystères dont le dernier Acte, l'Epilogue pour les Mystae, était l'anastasis ou "l'existence continue", ainsi que la "transformation de l'Ame".

Aussi l'auteur de New Platonism and Alchemy nous démontre que toutes ces doctrines Eclectiques se trouvent fortement reflétées dans les Epîtres de Paul et qu'elles étaient plus ou moins inculqués dans les Eglises. Il en résulte des passages comme ceux-ci : "Vous étiez morts dans les erreurs et les péchés ; vous marchiez suivant l'æon de ce monde, suivant l'archon qui possède la domination de l'air." "Nous ne luttons pas contre la chair et  le sang, mais contre les dominations, contre  les puissances, contre les seigneurs des ténèbres et contre la méchanceté des esprits dans les régions de l'Empyrée."  Mais Paul était évidemment hostile aux efforts qui tendaient à confondre son évangile avec les idées gnostiques de l'Ecole Hébraïque-Egyptienne, comme on essaya de le faire à l'Ephèse, et il écrivit en conséquence à Timothée, son disciple favori : "Garde intact le précieux dépôt qui t'a été confié et repousse les nouvelles doctrines et les principes antagonistes de ce qu'on appelle à tort  la Gnose, à laquelle quelques-uns se sont attachés en s'écartant de la foi 562."

562 Loc. cit., note.

 

Mais comme la Gnose est la Science qui se rattache à notre Soi Supérieur, comme la foi aveugle est une question de tempérament et d'émotion et comme la doctrine de Paul était encore plus récente et ses interprétations bien plus voilées, afin de tenir les vérités cachées très loin des Gnostiques, la préférence a été donnée à la Gnose par tout ardent chercheur de la vérité.

En outre, les grands Instructeurs qui professaient la prétendue "fausse Gnose" étaient très nombreux à l'époque des Apôtres et étaient aussi grands que pouvaient l'être un Rabbin converti. Si Porphyre, le Juif Malek, s'élevèrent contre la Théurgie, en raison d'anciens souvenirs  traditionnels, il y eut d'autres instructeurs qui la pratiquèrent. Plotin, Jamblique, Proclus étaient tous des thaumaturges et le dernier Elabora toute la théosophie et la théurgie de ses prédécesseurs en un système complet 563.

Quand à Ammonius, [V 337] Combattu par Clément et Athénagore, dans l'Eglise, et par des savants de la Synagogue, de l'Académie et du Jardin, il s'acquitta de sa tâche en enseignant une doctrine commune pour tous 564.

Ce ne sont donc pas le Judaïsme et le Christianisme qui modelèrent à nouveau l'antique Sagesse Païenne, mais plutôt cette dernière qui imprima tranquillement et insensiblement sa tournure païenne sur la foi nouvelle et, de plus, celle-ci fut encore influencée par le système Théosophique Eclectique, émanation directe de la Religion Sagesse. Tout ce qui est noble et grand dans la théologie chrétienne vient du Néo-Platonisme. Il est trop notoire, pour qu'il soit nécessaire de le répéter, qu'Ammonius Saccas, l'homme instruit par Dieu (théodidaktos) et l'ami de la vérité (philalethes), tenta, lorsqu'il établit son école, de faire du bien au monde en enseignant les parties de la Science Secrète que ses gardiens directs permettaient de révéler à cette époque 565. Le mouvement moderne de notre propre Société Théosophique a commencé selon les mêmes principes : en effet, l'école Néo-Platonicienne d'Ammonius visait, comme nous, à réconcilier  toutes les sectes et tous les peuples dans la foi de l'Age d'Or, jadis commune à tous ; à essayer d'amener toutes les nations à abandonner leurs luttes – au moins en matières religieuses – en leur prouvant que leurs diverses croyances sont toutes les enfants plus ou moins légitimes d'une mère commune, la Religion Sagesse.

563 Op. cit., p. 18.

564 Op. cit., p. 8.

565 Aucun chrétien orthodoxe n'a jamais égalé, et encore moins surpassé, dans la pratique des vertus et de la morale vraiment chrétiennes, ou dans la beauté de sa nature morale, Ammonius, l'Alexandrin détourné du Christianisme (il était né de parents Chrétiens).

 

Le système Théosophique Eclectique ne se développa pas non plus – ainsi que voudraient le faire croire quelques auteurs inspirés par Rome – seulement durant le troisième siècle de notre ère, mais il appartient à une époque bien plus reculée, comme l'a montré Diogène Laërce. Il la fait remonter jusqu'au début de la dynastie des Ptolémées ; jusqu'au grand voyant et prophète, le prêtre égyptien Pot-Amoun, du temple du Dieu du même nom – car Amoun est le Dieu de la Sagesse, jusqu'à ce jour, les communications n'avaient Jamais été interrompues entre les Adeptes de la Haute Inde et de la Bactiane, et les Philosophes de l'Occident.

Sous Philadelphe... les instructeurs Hellènes devinrent les rivaux du Collège des Rabbins de Babylone. Les systèmes Bouddhique, Védantin et des Mages étaient exposés en même temps que les philosophies de la Grèce... Le juif Aristobule déclarait que la morale d'Aristote était dérivée de la loi de Moïse(!) et, après lui, Philon chercha à interpréter le Pentateuque d'accord avec les [V 338] doctrines de Pythagore et de l'Académie. Dans Josèphe, il est dit que dans le Livre de la Genèse, Moïse a écrit d'une manière Philosophique – c'est-à-dire en style figuré – et les Esséniens du Carmel se trouvaient reproduits dans les Thérapeutes d'Egypte qui, à leur tour, étaient déclarés, par Eusèbe, identiques aux Chrétiens, quoique ayant réellement existé bien avant l'ère Chrétienne. En vérité, le Christianisme aussi fut enseigné à son tour à Alexandrie et subit une métamorphose analogue. Pantène, Athénagore et Clément étaient complètement instruits dans la philosophie Platonicienne et comprenaient son unité essentielle avec les systèmes orientaux 566

Ammonius, bien qu'issu de parents Chrétiens, était avant tout un ami de la vérité, un vrai Philalèthe. Il prit à cœur la tâche de concilier les divers systèmes en un tout harmonieux, car il avait déjà remarqué la tendance du Christianisme à se dresser sur l'hécatombe, faite par lui, de toutes les autres croyances. Que dit l'histoire ?

Ammonius, comprenant que non seulement les philosophes de la Grèce, mais aussi tous ceux des différentes nations barbares, étaient parfaitement d'accord entre eux sur tous les points essentiels, se donna pour tâche de tempérer et d'expliquer les dogmes de toutes ces différentes sectes de façon à faire ressortir qu'elles tiraient toutes leurs origines de la même  source et  tendaient  toutes  au  même  but.  Mosheim dit encore qu'Ammonius enseignait que la religion de la foule allait de concert avec la philosophie et avait subi avec elle la destinée d'être graduellement corrompue et obscurcie par des conceptions purement humaines, des superstitions et des mensonges ; qu'elle devait, en conséquence, être ramenée à sa pureté originale, en étant débarrassée de ces scories et en étant exposée suivant des principes philosophiques et, qu'en somme, le but visé par le Christ était de réinstaller et de rétablir dans son intégrité primitive la Sagesse des Anciens 567.

566 Op. cit., pp. 3, 4.

 567 Cité par le Dr Wilder,  p. 5.

568 Le mot "mortification" est employé ici dans le sens moral et non dans le sens physique . réprimer toutes les convoitises et toutes les passions et vivre sous le régime alimentaire le plus simple possible.

 

Or, qu'était donc cette "Sagesse des Anciens" que le Fondateur du Christianisme "avait en vue" ? Le système enseigné par Ammonius dans son Ecole Théosophique Eclectique était composé des miettes qu'il était permis de prélever sur le trésor des connaissances antédiluviennes : voici comment ces enseignements Néo-Platoniciens sont décrits dans l'Edinburgh Encyclopoedia :

Il [Ammonius] adopta les doctrines qui étaient reçues en Egypte au sujet de l'Univers et de la Divinité, considérée comme constituant un grand tout ; au sujet de l'éternité du monde, de la nature des âmes, de l'empire de la Providence [Karma] et du gouvernement [V 339] du monde par des démons [daimons, ou esprits, archanges]. Il établit aussi un système de discipline morale qui permettait aux gens en général de vivre suivant les lois de leurs pays et les exigences de la nature, mais qui invitait les sages à exalter leur mental par la contemplation et à mortifier le corps 568, afin de devenir susceptibles de jouir de la présence et de l'assistance des démons [y compris leur propre daimon ou Septième Principe]... et de s'élever après la mort jusqu'en présence de la Mère [Ame] Suprême. En vue de concilier les religions populaires, et particulièrement la religion Chrétienne, avec ce nouveau système, il transforma en allégorie l'histoire entière des dieux païens, en soutenant qu'ils n'étaient que des ministres célestes 569, ayant droit à un culte d'une nature inférieure, et il reconnut que Jésus- Christ était un homme excellent et ami de Dieu, mais il soutint que son intention n'était pas d'abolir entièrement le culte des démons 570 et que sa seule intention était de purifier l'antique religion.

On n'en pouvait dire davantage, sauf pour les Philalèthes initiés qui étaient "des personnes dûment instruites et disciplinées" à qui Ammonius communiqua ses doctrines plus importantes, leur imposant l'obligation du secret, comme l'avaient fait avant lui Zoroastre et Pythagore et comme dans les Mystères [où on imposait aux néophytes ou catéchumènes le serment de ne pas divulguer ce qu'ils avaient appris]. Le grand Pythagore divisait son enseignement en exotérique et ésotérique 571.

Jésus n'en faisait-il pas autant, puisqu'il déclarait à Ses disciples qu'il leur était donné de connaître les mystères du royaume du Ciel, tandis que cela ne l'était pas à la foule et, qu'en conséquence, Il parlait en paraboles à double sens ?

Le docteur Wilder ajoute :

Ammonius trouva ainsi sa tâche toute préparée. Sa profonde intuition spirituelle, ses connaissances étendues et son intimité avec les Pères Chrétiens, Pantène, Clément et Athénagore, et avec les philosophes les plus érudits de l'époque, tout cela le rendait apte à la tâche dont il s'acquitta si complètement... Les résultats [V 340] de son travail sont perceptibles à l'époque actuelle dans tous les pays du monde Chrétien, car tout système éminent de doctrine porte aujourd'hui l'empreinte de sa main. Toutes les anciennes philosophies ont eu leurs fidèles parmi les modernes et le Judaïsme lui-même, la plus ancienne de toutes les philosophies, a subi des changements qui furent suggérés par l'Alexandrin "Instruit par Dieu 572".

569 C'est l'enseignement Néo-Platonicien adopté comme doctrine par l'Eglise Catholique Romaine, avec son culte des Esprits.

570 L'Eglise en a fait le culte des diables ; "Daimon" veut dire Esprit et se rapporte à notre Esprit divin, le septième Principe, et aux Dhyân-Chohans. Jésus défendait d'aller au temple ou église "comme le faisaient les Pharisiens" et recommandait à l'homme de se retirer dans une chambre close pour y prier (pour y communier avec son Dieu). Est-ce Jésus qui aurait favorisé, en présence de millions d'affamés, la construction des plus opulentes églises ?

571 Op. cit., p. 7.

572 Op. cit., p. 7.

573 Op. cit., p. 18.

574 Le Talmud donne l'histoire des quatre Tanaïm que l'on représente  allégoriquement comme entrant dans le jardin des délices, c'est-à-dire comme devant être initiés à la science occulte et finale.

 

L'école Néo-Platonicienne d'Alexandrie, fondée par Ammonius – prototype de la Société Théosophique – enseignait la Théurgie et la Magie, autant qu'elles l'étaient à l'époque de Pythagore et par d'autres bien avant. Proclus dit en effet que les doctrines d'Orphée, qui était un Indien et venait de l'Inde, furent l'origine des systèmes promulgués postérieurement.

Ce qu'Orphée donnait en le voilant sous des allégories, Pythagore l'apprit lorsqu'il fut initié aux Mystères Orphiques et Platon en acquit ensuite une parfaite connaissance grâce aux ouvrages Orphiques et Pythagoriciens 573

Les Philalèthes étaient divisés en néophytes (Chélas) et Initiés, ou Maîtres, et le système éclectique comportait trois doctrines distinctes, purement Védantines ; une Essence Suprême, Unique et Universelle ; l'éternité et l'indivisibilité de l'esprit humain ; et la Théurgie, ou art des Mantras. Ils avaient aussi, comme nous l'avons vu, leur enseignement secret ou Esotérique, comme toutes les autres écoles mystiques et, pas plus que les Initiés aux Mystères, ils n'avaient le droit de révéler quoi que ce fût de leurs doctrines secrètes. Seulement, les pénalités qu'encouraient ceux qui révélaient les secrets des Mystères étaient bien plus terribles et cette prohibition a survécu jusqu'à présent, non seulement en Inde, mais même parmi les Cabalistes Juifs d'Asie 574. [V 341]

 "Selon les enseignements de nos saints maîtres, les noms des quatre qui entrèrent dans le jardin des délices, sont : Ben Asai, Ben Zoma, Acher et Rabbi Akiba...

"Ben Asai regarda et perdit la vue.

On peut ranger, parmi les raisons d'un pareil secret, les difficultés incontestablement sérieuses de la situation de Chéla et les dangers que comporte l'Initiation. Le candidat moderne doit, comme son antique prédécesseur, vaincre ou mourir, si, ce qui est pis encore, il ne perd pas la raison. Il n'y a aucun danger pour celui qui est véridique et sincère et, surtout, dépourvu d'égoïsme, car il est ainsi préparé d'avance à affronter toutes les tentations.

Celui qui reconnaissait complètement le pouvoir de son esprit immortel et ne mettait jamais en doute  sa protection omnipotente, n'avait rien à craindre. Mais malheur au candidat auquel la moindre appréhension physique – enfant maladive de la matière – faisait perdre de vue sa propre invulnérabilité et lui enlevait sa foi en elle. Celui qui n'avait pas une confiance absolue dans son aptitude morale à accepter le fardeau de ces terribles secrets était condamné 575.

Les mêmes dangers n'existaient pas dans les Initiations Néo- Platoniciennes. Les égoïstes et les indignes échouaient dans leur tentative et cet échec constituait leur châtiment. Le but principal que l'on visait était "la réunion de la partie au tout". Ce Tout était Unique sous d'innombrables noms. Qu'il fût appelé Dui, le "brillant Seigneur du Ciel" par l'Aryen ; Iao, par le Chaldéen et le Cabaliste ; Iabe, par le Samaritain le Tiu ou Tuisco, par l'Homme du Nord ; Duw, par le Breton Zeus, par l'habitant  de la Thrace ou Jupiter, par le Romain – c'était l'Etre, le Facit, Unique et Suprême 576, le non-né et la source inépuisable de toutes les émanations,  la "Ben Zoma regarda et perdit la raison.

575 Isis Dévoilée, III, 161.

576 Voyez New Platonism, p. 9.

 

"Acher commit des déprédations dans la plantation [brouilla tout et échoua]. Mais Akiba, qui y était entré en paix, en sortit en paix, car le saint, béni soit son nom, avait dit : "Ce vieillard est digne de nous servir avec gloire."

"Les savants commentateurs du Talmud, les Rabbins de la Synagogue, expliquent que le jardin des délices, dans lequel on fait entrer ces quatre personnes, c'est la science mystérieuse "la plus terrible des sciences pour les faibles intellects, qu'elle mène droit à la folie", dit A. Franck dans sa Cabbale. Ce ne sont, ni celui qui a le cœur pur, ni celui qui n'étudie que pour se perfectionner dans le but d'acquérir plus facilement l'immortalité promise, qui ont à craindre, mais c'est plutôt celui qui transforme la science des sciences en un prétexte coupable, dans un but mondain, qui devrait trembler. Ce dernier ne comprendra jamais les évocations cabalistiques de l'initiation suprême." (Isis Dévoilée, III, 161). fontaine de vie, et de lumière éternelle, dont chacun de nous porte en lui un Rayon sur cette Terre. La connaissance de ce Mystère était parvenue jusqu'aux Néo-Platoniciens, apportée de l'Inde par Pythagore et plus tard encore par Apollonius de Tyane, et les règles et les méthodes pour provoquer l'extase avaient été tirées du même trésor de la divine Vidyâ, la Gnose. En effet, Aryavarta, le brillant foyer dans lequel avaient été déversées, au commencement des temps, les flammes de la Sagesse Divine, était devenue le centre d'où rayonnaient les "langues de feu" sur toutes les parties du globe. Qu'était le Samâdhi si ce n'est cette extase sublime, cet état durant lequel les choses  divines et les mystères de la Nature nous sont révélés, dont parle Porphyre ? [V 342]

Les effluves de l'âme divine sont communiquées à l'esprit humain dans une abondance sans réserve, accomplissant pour l'âme l'union avec le divin et lui permettant, durant son séjour dans le corps, de participer à la vie qui n'est pas dans le corps.

nous explique-t-il d'autre part.

Ainsi, sous le titre de Magie, on enseignait toutes les Sciences, physiques et métaphysiques, naturelles ou considérées comme surnaturelles par ceux qui ignorent l'omniprésence et l'universalité de la Nature.

 La Magie Divine fait de l'homme un Dieu ; la magie humaine crée un nouvel esprit du mal.

Nous écrivions dans Isis Dévoilée :

Dans les plus antiques documents que le Monde possède aujourd'hui – les Védas et les plus anciennes lois de Manou – nous constatons que beaucoup de  rites magiques étaient  pratiqués  et  permis  par  les Brahmanes 577. Au Tibet, au Japon et en Chine, on enseigne actuellement ce qui était enseigné par les plus antiques Chaldéens. Le clergé de ces différents pays prouve, en outre, ce qu'il enseigne – à savoir que la pratique de la pureté morale et physique et de certaines austérités, développe le pouvoir vital d'auto-illumination de l'âme. Conférant à l'homme le contrôle de son esprit immortel, il le dote de pouvoirs vraiment magiques sur les esprits élémentaires inférieurs à lui. En Occident, nous constatons que la magie est d'une aussi haute antiquité qu'en Orient. Les druides de  Grande-Bretagne la pratiquaient dans les cryptes silencieuses de leurs profondes cavernes et Pline consacre maint chapitre à la "sagesse 578", des chefs des Celtes. Les Sémothées – Druides des Gaules – exposaient les sciences physiques aussi bien que les sciences spirituelles. Ils enseignaient les secrets de l'univers, les progrès harmonieux des corps célestes, la formation de la Terre et surtout – l'immortalité de l'Ame 579. Dans leurs bocages sacrés académies naturelles construites par la main de l'Invisible Architecte – les initiés se rassemblaient à l'heure tranquille de minuit, pour apprendre ce que l'homme a été et ce qu'il sera 580. Ils n'avaient besoin ni d'éclairage artificiel, ni de gaz délétère, pour éclairer leurs temples, car la chaste déesse de la nuit déversait ses rayons les plus argentés sur leurs têtes couronnées de chêne et leurs bardes sacrés, vêtus de robes  blanches, savaient entretenir une conversation avec la reine solitaire de la voûte étoilée 581. [V 343]

577 Voyez le Code publié par Sir William Jones, chapitre IX, p. 11.

578 Pline : Hist. Nat., XXX, 1 ; Ib., XVI, 14 ; XXV, 9, etc.

579 Pomponius leur attribue la connaissance des plus hautes sciences.

580 César, III, 14.

581 Pline XXX, Isis Dévoilée, I, 97.

 

Durant les jours glorieux du Néo-Platonisme, ces Bardes n'existaient plus, car leur cycle était terminé et les derniers Druides avaient péri à Bibracte et à Alésia, mais l'école Néo-Platonicienne resta pendant longtemps encore heureuse, puissante et prospère. Pourtant, tout en adoptant la Sagesse Aryenne dans ses doctrines, l'école ne suivit pas la sagesse des Brahmanes dans la pratique. Elle montra trop ouvertement sa supériorité morale et intellectuelle, en s'attachant trop aux grands et aux puissants de cette terre. Alors que les Brahmanes et leurs grands Yogis – experts en matière de philosophie, de métaphysique, d'astronomie, de morale et de religion – maintenaient leur dignité sous le gouvernement des plus puissants princes, restaient à l'écart du monde et ne condescendaient pas à leur rendre visite ou à solliciter la moindre faveur 582 ; les Empereurs Alexandre, Sévère et Julien, ainsi que les personnages les plus éminents de l'aristocratie du pays, adoptaient les dogmes des Néo-Platoniciens, qui se mêlaient librement au monde. Le système resta florissant pendant plusieurs siècles et compta parmi ses adhérents les hommes les plus capables et les plus savants de l'époque ; Hypathie, l'instructeur de l'évêque Synesius, fut un des ornements de l'Ecole, jusqu'au jour fatal et honteux où elle fut assassinée par la populace chrétienne, à l'instigation de l'évêque Cyrille d'Alexandrie. L'école fut finalement transportée à Athènes, puis fermée par ordre de l'Empereur Justinien.

Combien juste est la remarque du docteur Wilder, que Les auteurs modernes se sont livrés à des commentaires au sujet des opinions particulières aux Néo-Platoniciens sur ces questions [métaphysiques], qu'ils ont rarement présentées correctement, même s'ils le désiraient ou en avaient l'intention 583.

Les rares spéculations sur les univers sublunaire, matériel et spirituel, qu'ils consignèrent par écrit – Ammonius n'ayant lui-même jamais écrit une ligne, suivant la coutume des réformateurs – ne pouvaient permettre à la postérité de les juger correctement même si les premiers Vandales Chrétiens, [V 344] puis les Croisés et enfin les fanatiques du Moyen Age, n'avaient pas détruit trois portions de ce qui restait à la Bibliothèque d'Alexandrie et de ses écoles postérieures.

 582 "Le soin avec lequel ils éduquaient la jeunesse, et la familiarisaient avec les sentiments généreux et vertueux, leur faisait particulièrement honneur et leurs maximes, ainsi que leurs discours, tels que les rapportent les historiens, prouvent qu'ils étaient experts en matière de philosophie, de métaphysique, d'astronomie, de morale et de religion", dit un auteur moderne. "Si des rois ou des princes désiraient les conseils ou les bénédictions des saints hommes, ils étaient obligés de se rendre en personne auprès d'eux, ou de leur envoyer des messagers. Le pouvoir secret d'aucune plante ou minéral n'était inconnu de ces hommes. Ils avaient sondé la Nature jusque dans ses profondeurs, en même temps que la psychologie et la physiologie leur étaient livres ouverts et il en résultait cette science que l'on appelle aujourd'hui avec dédain magie."

583 Op. cit., p. 9.

 

Le professeur Draper montre que le cardinal Ximénès, à lui seul, livra aux flammes sur les places de Grenade quatre-vingt mille manuscrits Arabes, dont beaucoup de traductions d'auteurs classiques.

Dans la Bibliothèque Vaticane, des passages entiers, des traités les plus rares et les plus précieux des Anciens, ont été trouvés  raturés et effacés "afin d'y intercaler d'absurdes psalmodies" ! Il est en outre bien connu que plus de trente-six volumes écrits par Porphyre furent brûlés ou autrement détruits par les "Pères". La majeure partie du peu que l'on connaît des doctrines des Eclectiques se trouve dans les ouvrages de Plotin et de ces mêmes Pères de l'Eglise.

L'auteur de New Platonism s'exprime ainsi :

Ce que Platon fut pour Socrate et l'Apôtre Jean pour le chef de la foi Chrétienne, Plotin le devint pour Ammonius, l'Instruit par Dieu. C'est à Plotin, Origène et Longin que nous sommes redevables de ce que nous connaissons du système des Philalèthes. Ils ont été régulièrement instruits, initiés et on leur a confié les doctrines intérieures 584.

Cela explique merveilleusement pourquoi Origène qualifiait "d'idiots" ceux qui croyaient aux fables du Jardin de l'Eden et d'Adam et Eve et aussi pourquoi si peu des ouvrages de ce Père de l'Eglise sont passés à la postérité. Avec le secret imposé, les vœux de silence et ce qui a été malignement détruit par tous les moyens, il est vraiment merveilleux que même le peu que nous connaissons des doctrines des Philalèthes soit parvenu jusqu'à nous.

 

FIN DU VOLUME V.