MAITRE M

Les Enseignements du Maitre MORYA

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LA DOCTRINE SECRETE VOL 5

SECTION XVII - APOLLONIUS DE TYANE

SECTION XVII

APOLLONIUS DE TYANE

 

Il est dit dans Isis Dévoilée que les plus grands professeurs de théologie sont d'accord pour déclarer que presque tous les ouvrages antiques ont été écrits sous une forme symbolique et dans des termes qui n'étaient intelligibles que pour les Initiés. L'esquisse biographique de la vie d'Apollonius de Tyane en fournit un exemple. Comme le sait tout Cabaliste, elle embrasse l'ensemble de la Philosophie hermétique, étant, à bien des égards, une contrepartie des traditions qui nous ont été transmises au sujet du Roi Salomon. Elle ressemble à un conte de fées, mais, comme dans ces derniers, certains faits et certains événements historiques sont présentés au monde sous l'apparence de fictions. Le voyage en Inde représente, dans toutes ses phases, mais toutefois d'une façon allégorique, les épreuves d'un Néophyte et donne en même temps une idée géographiques et topographique d'une certaine contrée, telle qu'elle est, même aujourd'hui, si l'on sait où il faut la chercher. Les longues conversations d'Apollonius avec les Brahmanes, leurs sages conseils et les dialogues avec le Corinthien Ménippe fourniraient, si l'on savait les interpréter, le Catéchisme Esotérique. Sa visite à l'empire des hommes sages, son entrevue avec leur roi Hiarchas, l'oracle d'Amphiarus, expliquent symboliquement bien des dogmes secrets d'Hermès – dans le sens générique de ce nom – et de l'Occultisme. C'est merveilleux  à raconter et si le récit ne s'appuyait pas sur de nombreux calculs déjà faits, et le secret déjà à moitié révélé, l'auteur n'aurait jamais osé le dire. Les voyages du grand Mage sont décrits correctement, bien qu'allégoriquement – c'est-à-dire que tout ce que raconta Damis avait réellement eu lieu – mais le récit est basé sur les signes du Zodiaque. Tel qu'il fut transcrit par Damis sous la direction d'Apollonius et traduit par Philostrate, ce récit est véritablement une merveille. Lorsque nous arriverons à la conclusion de ce que nous pouvons maintenant raconter du merveilleux Adepte de Tyane, ce que nous voulons dire deviendra plus clair. Il suffit pour l'instant de dire que les dialogues dont il a été question dévoileraient, s'ils étaient bien compris, quelques-uns des plus importants secrets de la Nature. Eliphas Lévi fait remarquer la grande ressemblance [V 145] qui existe entre le roi Hiarchas et le fabuleux Hiram, qui procura à Salomon les cèdres du Liban et l'or d'Ophir, mais il garde le silence au sujet d'une autre ressemblance, qu'en qualité de savant cabaliste il ne pouvait ignorer. En outre, suivant son habitude invariable, il mystifie le lecteur plutôt qu'il ne l'instruit, ne lui dévoile rien et le conduit hors du bon chemin.

Comme la plupart des héros historiques de l'antiquité reculée dont la vie et les œuvres diffèrent considérablement de celles de l'humanité ordinaire, Apollonius reste, jusqu'à présent, une énigme qui n'a pas encore trouvé son Œdipe. Son existence est enveloppée d'un tel voile de mystère, qu'on le prend souvent pour un mythe, mais d'après toutes les lois de la logique et de la raison, il est parfaitement clair que ce n'est pas ainsi qu'il faut considérer Apollonius. Si l'on pouvait envisager le Théurgiste de Tyane comme un personnage fabuleux, l'histoire n'aurait alors pas droit à ses Césars et à ses Alexandres. Il est parfaitement vrai que ce Sage, dont les pouvoirs de thaumaturge n'ont jusqu'à présent été égalés par personne – des preuves historiques l'attestent – apparut et disparut de l'arène de la vie publique sans que l'on sût d'où il venait ni où il était allé, mais les raisons qui  expliquent  ce  fait  sont  évidentes.  On  employa  tous  les  moyens  – surtout durant le IVème  et le Vème  siècle de notre ère – pour effacer de toutes les mémoires le souvenir de ce grand et saint homme. La diffusion de ses biographies, qui étaient nombreuses et enthousiastes, fut entravée par les Chrétiens et cela pour une très bonne raison, comme nous le verrons. Le journal de Damis échappa d'une façon vraiment miraculeuse et il n'y eut plus que lui pour narrer l'histoire, mais il ne faut pas oublier que Justin Martyr parle souvent d'Apollonius et que le caractère ainsi que la véracité de cet homme plein de bonté sont inattaquables, d'autant plus qu'il avait de bonnes raisons pour être stupéfait. On ne peut non plus nier qu'il y ait à peine un seul des Pères de l'Eglise des six premiers siècles qui ait omis de faire mention d'Apollonius ; seulement suivant l'invariable habitude de la Charité chrétienne, leur plume était toujours trempée dans l'encre la plus noire de l'odium theologicum, de l'intolérance et de la partialité. Saint Jérôme (Hieronymus) donne, tout au long, le récit de la prétendue contestation qui s'éleva entre saint Jean et le Sage de Tyane – une lutte de "miracles" – récit dans lequel le véridique saint 236  dépeint, bien entendu, sous des couleurs ardentes, la défaite d'Apollonius et en cherche une corroboration dans les [V 146] Apocryphes de saint Jean dont l'Eglise elle-même déclare l'authenticité douteuse 237.

 236  Voyez la Préface à l'Evangile de saint Matthieu de Baronius, I, 752 cité dans de Mirville, VI, Jérôme est le Père de l'Eglise, qui, ayant découvert dans la bibliothèque de Césarée l'authentique et original Evangile (le texte hébreu) de Matthieu, l'Apôtre-publicain, "écrit de la main  de Matthieu" (Hieronymus : De Viris Illust., chap. III) – ainsi qu'il l'admet lui-même – le repoussa comme hérétique et y substitua son propre texte grec. C'est encore lui qui dénatura le texte du Livre de Job dans le but d'imposer la croyance à la résurrection de la chair (voyez Isis Dévoilée, III, 245, 246 et seq.), en s'appuyant sur les citations des autorités les plus savantes.

237 De Mirville donne de la "contestation" le saisissant compte rendu suivant : "Jean, pressé, comme nous le dit saint Jérôme, par toutes les Eglises d'Asie de proclamer d'une façon plus solennelle [en présence des miracles d'Apollonius] la divinité de Jésus-Christ, fit avec ses disciples une longue prière sur la montagne de Patmos et se trouvant en extase, grâce à l'Esprit divin, fit entendre au milieu du tonnerre et des éclairs son fameux In principio erat verbum. Quand eut pris fin cette sublime extase, qui lui fit donner le nom de "Fils du Tonnerre", Apollonius fut obligé de se retirer et de disparaître. Telle fut sa défaite, moins sanglante mais aussi rude que celle de Simon le Magicien ("Le Magicien Théurgiste", VI, 63). Quant à nous, nous n'avons jamais entendu parler d'extase donnant naissance au tonnerre et aux éclairs et nous n'arrivons pas à en saisir le sens.

 C'est pour cela que personne ne peut dire où et quand naquit Apollonius et que tout le monde ignore également le lieu et la date de sa mort. Quelques personnes pensent qu'il était âgé de quatre-vingts à quatre- vingt-dix ans lorsqu'il mourut, d'autres qu'il avait atteint l'âge de cent et même cent dix-sept ans, mais personne ne peut dire au juste ni s'il termina sa vie à Ephèse en l'an 96 du Seigneur, comme d'aucuns le pensent, ni si l'événement se produisit à Lindus dans le temple de Pallas-Athénée, ni s'il disparut du temple de Dictynna, ou bien si, comme d'autres personnes le soutiennent, il ne mourut pas du tout, mais une fois centenaire,  renouvela sa vie par la Magie et continua à travailler pour le bien de l'humanité. Seules, les Archives Secrètes ont noté sa naissance et sa carrière, – mais "qui a jamais cru à ce récit" ?

Tout ce que sait l'histoire, c'est qu'Apollonius fut le fondateur enthousiaste d'une nouvelle école de contemplation. Peut-être moins métaphoriste et plus pratique que Jésus, inculquait-il néanmoins la même quintessence de spiritualité, les mêmes vérités de haute morale.  On l'accuse de les avoir réservées aux classes élevées de la société, au lieu de faire comme Bouddha et Jésus, c'est-à-dire de les prêcher aux pauvres et aux affligés. Après un temps aussi long, il est impossible de juger les raisons qui le firent agir d'une manière aussi exclusive, mais il semble que la loi Karmique y soit pour quelque chose. Né, comme nous l'avons dit, dans les rangs de l'aristocratie, il désira très probablement parachever dans cette direction particulière l'œuvre laissée inachevée par son prédécesseur et qu'il tenta d'offrir "la paix sur la terre et la bonne volonté" à tous les hommes et non pas seulement [V 147] aux déclassés et aux criminels. C'est pourquoi il s'aboucha avec les rois et les puissants de l'époque. Néanmoins, les trois "faiseurs de miracles" ont montré une frappante similitude dans le but poursuivi. De même que Jésus et Bouddha, Apollonius était l'ennemi déterminé de tout étalage de piété extérieure, de tout déploiement d'inutiles cérémonies religieuses, de bigoterie et d'hypocrisie. Il est également vrai que ses "miracles" furent plus merveilleux, plus variés et beaucoup mieux attestés par l'Histoire que ceux des autres. Le matérialisme le nie, mais les preuves qui existent et les affirmations de l'Eglise elle-même, quelque mal qu'elle en dise, établissent ce fait 238.

Les calomnies lancées contre Apollonius furent aussi nombreuses que fausses. Dix-huit siècles après sa  mort, il fut encore diffamé par l'évêque Douglas, dans son ouvrage contre les miracles. Le vénérable évêque se heurta là contre les faits historiques, car ce n'est pas dans les miracles, mais dans l'identité des idées et des doctrines qu'ils prêchaient que nous avons à chercher une ressemblance entre Bouddha, Jésus et Apollonius. Si nous étudions la question sans passion, nous ne tarderons pas à remarquer que Gautama, Platon, Apollonius, Jésus, Ammonius-Saccas et ses disciples, basaient tous leur morale sur la même philosophie mystique – qu'ils avaient tous un seul Idéal divin, soit qu'ils le considérassent comme le "Père" de l'humanité, qui vit dans l'homme, comme l'homme vit en Lui, ou comme le Principe Créateur Incompréhensible. Tous menaient une vie divine. Ammonius, parlant de sa philosophie, enseignait que son école datait de l'époque d'Hermès, qui  rapporta sa sagesse de l'Inde. C'était constamment la même contemplation mystique que celle du Yogin : la communion du Brâhmane avec son propre Soi  lumineux – "l'Atman 239".

238 C'est la vieille histoire. Quel est celui d'entre nous, Théosophes, qui ne sache par une amère expérience personnelle, ce que peuvent faire dans ce sens la haine du clergé, la méchanceté et la persécution ; jusqu'à quel degré de fausseté, de calomnie et de cruauté peut s'élever ce sentiment, même à notre époque moderne et quels exemples de charité Chrétienne ont donnés Ses prétendus et soi-disant serviteurs.

 239 Isis Dévoilée, III, 461.

240 Loc. cit., III, 463, 464.

 

Il est ainsi démontré que l'œuvre fondamentale de l'Ecole Eclectique est identique aux doctrines des Yogis – des Mystiques Hindous ; il est établi qu'elle tire son origine de la même source que le Bouddhisme primitif de Gautama et de ses Arhats.

Le Nom ineffable, à la recherche duquel tant de Cabalistes – qui ne connaissaient aucun Adepte, ni Oriental, ni même Européen – usent vainement leur science et leur vie, gît à l'état latent dans le cœur de tous les hommes. Ce nom mirifique qui, suivant les plus anciens oracles, "s'élance dans les mondes infinis άφοιτήτω στροφάλιγγι", peut être obtenu de deux manières : par l'initiation [V 148] régulière et par la "petite voie" qu'Elie entendit dans la caverne de  Horeb, la montagne de Dieu. Et "lorsque Elie l'entendit, il s'enveloppa la tête dans son manteau et se tint à l'entrée de la caverne. Et voici que la voix se fit entendre".

Lorsque Apollonius de Tyane désirait entendre la "petite voix", il avait coutume de s'envelopper entièrement dans un manteau de belle laine, sur lequel il posait ses deux pieds après avoir exécuté certaines passes magnétiques et il prononçait, non pas le "nom", mais une invocation bien connue de tous les Adeptes. Il couvrait alors sa tête et son visage avec le manteau et son esprit translucide ou astral était libre. Dans les occasions ordinaires, il ne portait pas plus de laine que n'en portaient les prêtres des temples. La possession de la combinaison secrète du "nom" conférait à l'Hiérophante un pouvoir suprême sur tous les êtres, humains ou autres, qui lui étaient inférieurs en force d'âme 240.

A quelque école qu'il eût appartenu, il est certain qu'Apollonius de Tyane laissa le souvenir d'un nom impérissable. Des centaines d'ouvrages furent écrits sur cet homme merveilleux ; les historiens l'ont sérieusement discuté, des fous prétentieux, incapables d'arriver à une conclusion quelconque au sujet du Sage, ont cherché à nier son  existence même. Quant à l'Eglise, bien qu'elle exècre sa mémoire, elle a toujours cherché à le représenter comme personnage historique. Sa politique semble maintenant tendre à orienter dans un autre sens l'impression laissée par lui – stratagème aussi antique que bien connu. Les Jésuites, par exemple, tout en admettant ses "miracles", ont mis en mouvement un double courant de pensées et ils ont réussi, comme ils réussissent dans tout ce qu'ils entreprennent. Un des partis représente Apollonius comme un obéissant "médium de Satan", qui enveloppait ses pouvoirs théurgiques  d'une lumière aussi merveilleuse qu'éblouissante, tandis que l'autre parti affecte de considérer toute la question comme un habile roman, écrit dans un but déterminé.

Dans ses volumineux Mémoires de Satan, le Marquis de Mirville, au cours de sa plaidoirie pour faire reconnaître l'ennemi de Dieu comme l'auteur de phénomènes spirites, consacre un chapitre entier à ce grand Adepte. Le passage suivant de son livre dévoile le complot tout entier. Le lecteur est prié de ne pas oublier que le Marquis a écrit chacun de ses livres sous les auspices et avec l'autorisation du Saint-Siège de Rome.

Ce serait laisser l'histoire du premier siècle incomplète et commettre une insulte envers la mémoire de saint Jean, que de passer sous silence le nom de celui qui eut l'honneur d'être son adversaire [V 149] spécial, comme Simon fut celui de saint Pierre, Elymas celui de saint Paul, etc. Durant le premier siècle de l'ère chrétienne... apparut à Tyane, en Cappadoce, un de ces hommes extraordinaires dont l'Ecole de Pythagore fut si prodigue. Aussi grand voyageur que l'avait été son maître, initié à toutes les doctrines secrètes des Indes, de l'Egypte et de la Chaldée, doué par conséquent de tous les pouvoirs théurgiques des anciens Mages, il affola successivement tous les pays qu'il visita et qui semblent tous – nous sommes obligés de le reconnaître – avoir béni sa mémoire. Nous ne pourrions mettre ce fait en doute sans rompre avec toutes les véritables traditions historiques.

Les détails de sa vie nous sont transmis par un historien du VIème  siècle (Philostrate), qui traduisit lui-même un journal dans lequel Damis, disciple et ami intime du philosophe, nota jour par jour le récit de sa vie 241.

De Mirville admet la possibilité de quelques exagérations, tant de la part de l'auteur que de la part du traducteur, mais "il ne croit pas qu'elles tiennent une grande place dans le récit". Aussi est-ce avec regret qu'il constate que l'abbé Freppel "qualifie le journal de Damis de roman, dans ses éloquents Essais 242". Pourquoi ?

[Parce que] l'orateur base son opinion sur la similitude parfaite, et d'après lui voulue, de cette légende avec la vie du Sauveur. Mais en étudiant la question avec plus de soins, l'abbé Freppel peut se convaincre que ni Apollonius, ni Damis, ni même Philostrate, ne prétendirent jamais à plus d'honneur qu'à une ressemblance avec saint Jean. Ce programme exerçait à lui seul une fascination suffisante et le travestissement était suffisamment scandaleux. en effet, grâce aux arts de la magie, Apollonius avait réussi à contrebalancer, en apparence, plusieurs des miracles d'Ephèse [accomplis par saint Jean], etc.243.

241 Pneumatologie, VI, 62.

242 Les Apologistes Chrétiens au Second Siècle, p. 106.

243 Pneumatologie, 6 à 62.

 

L'anguille sous roche a montré sa tête. C'est la similitude parfaite, merveilleuse, qui existe entre la vie d'Apollonius et celle du Sauveur, qui place l'Eglise entre Charybde et Scylla. Nier la vie et les "miracles" du premier, équivaudrait à mettre en doute la véracité des Apôtres et des Pères de l'Eglise, sur le témoignage desquels est basé le récit de la vie de Jésus lui-même. Attribuer à "l'antique ennemi" la paternité des bonnes actions, des résurrections des morts, des actes de charité et des guérisons accomplis par l'Adepte, serait plutôt dangereux à cette époque. De là le stratagème employé pour jeter le trouble dans les idées de ceux qui s'appuient sur des autorités et sur la critique. L'Eglise y voit infiniment plus clair que tous nos grands historiens. L'Eglise sait que si elle niait l'existence de cet Adepte, cela la conduirait à [V 150] nier celle de l'Empereur Vespasien et ses historiens, des Empereurs Alexandre Sévère et Aurélien et de leurs historiens et enfin à nier Jésus et tous les témoignages qui Le concernent, ce qui préparerait son troupeau à finir par la nier elle- même. Il devient intéressant d'apprendre ce qu'elle dit en cette occurrence, par la bouche de de Mirville, l'orateur choisi par elle. Voici :

Qu'y a-t-il, demande-t-il, de si nouveau et de si impossible, dans le récit de Damis au sujet de leurs voyages au pays des Chaldéens et des Gymnosophistes ? Avant de nier, tâchez de vous rappeler ce qu'étaient, à cette époque, ces pays merveilleux par excellence  et aussi le témoignage d'hommes tels que Pythagore, Empédocle et Démocrite, auxquels on ne peut refuser la connaissance des sujets qu'ils traitaient. Qu'avons-nous enfin à reprocher à Apollonius ? Est-ce d'avoir émis, comme le faisaient les Oracles, une série de prophéties et de prédictions qui se réalisèrent d'une  façon merveilleuse ? Non, parce qu'en les étudiant mieux aujourd'hui nous savons ce qu'elles sont 244. Les Oracles sont devenus pour nous ce qu'ils ont été pour tout le monde durant le siècle dernier, depuis Van Dale jusqu'à Fontenelle. Est-ce d'avoir eu une faculté de seconde vue et des visions à distance 245 ? Non : car ce genre de phénomènes est aujourd'hui endémique dans la moitié de l'Europe. Est-ce parce qu'il se vantait de connaître toutes les langues qui existaient sous le Soleil, sans en avoir jamais appris aucune ? Mais qui donc pourrait ignorer que c'est là le meilleur critériums 246 de la présence et de l'assistance d'un esprit, de quelque nature  qu'il  puisse être ? Ou bien est-ce pour avoir cru à la transmigration (réincarnation) ? Des gens (par millions) y croient encore de nos jours. Personne n'a la moindre idée du nombre des Savants qui souhaitent le rétablissement de la Religion Druidique et des Mystères de Pythagore. Ou bien   est-ce pour avoir exorcisé les démons et la peste ? Les Egyptiens, les Etrusques et tous les Pontifes romains l'avaient fait bien avant 247. Pour s'être entretenu avec les morts ? Nous en faisons autant aujourd'hui, ou nous croyons le faire – ce qui revient au même. Pour avoir cru aux Empuses ? Quel est le Démonologue qui ignore que [V 151] l'Empuse est le "démon du sud" auquel il est fait allusion dans les Psaumes de David,  redouté alors comme il est craint jusqu'à présent dans toute l'Europe du Nord 248 ? Pour s'être rendu invisible à volonté ? C'est une des choses qu'accomplit le mesmérisme. Pour être apparu après sa mort (supposée) à l'Empereur Aurélien, au- dessus des murs de la ville de Tyane et pour l'avoir ainsi obligé à lever le siège de cette ville ? C'était la mission qui incombait à tous les héros au-delà de la tombe et la raison du culte voué aux Mânes 249. Pour être descendu dans l'antre fameux de Trophonius et en avoir rapporté un livre antique, qui fut ensuite conservé durant des années par l'Empereur Adrien, dans sa bibliothèque d'Antium ? Le véridique et sage Pausanias était descendu dans le même antre avant Apollonius et en était revenu tout aussi croyant. Pour avoir disparu lors de sa mort ? Oui, comme Romulus, comme Votan, comme Lycurgue, comme Pythagore 250, toujours dans les circonstances les plus mystérieuses, constamment accompagnées d'apparitions, de révélations, etc. Arrêtons-nous ici et répétons une fois encore : si la vie d'Apollonius n'avait été qu'un simple roman, il n'eût jamais atteint  une pareille célébrité de son vivant et n'eût jamais donné naissance, après sa mort, à une secte aussi nombreuse et aussi enthousiaste.

 244 Nombreux sont ceux qui ne savent pas : aussi n'y croient-ils pas.

245 Précisément, Apollonius, durant une conférence qu'il faisait à Ephèse, en Présence de Plusieurs milliers de personnes, vit l'assassinat de l'empereur Domitien à Rome et le fit connaître à toute la ville au moment même où il avait lieu. De même Swedenborg vit à Gothenbourg le grand incendie de Stockholm et avertit ses amis, alors qu'il n'existait pas encore de télégraphe.

246 Ce n'est pas du tout un Critérium. Les Saddhous et les Adeptes Hindous acquièrent ce don par la sainteté de leur vie, La Yoga-Vidya enseigne et il n'y a pas besoin "d'esprit" pour cela.

 247 En ce qui concerne les Pontifes, la question est plutôt douteuse.

248 Cela ne constitue pas une raison suffisante pour que l'on croie à cette catégorie d'esprits. Il existe de meilleures autorités pour baser de telles croyances.

249 Le but que vise de Mirville est de démontrer que toutes ces apparitions de Mânes ou Esprits désincarnés sont l'œuvre du Diable, les "Simulacres de Satan".

250 Il eût pu ajouter : comme le grand Sankarâchârya, Tsong-Kha-Pa et tant d'autres véritables Adeptes – voire même son propre Maître Jésus, car c'est le critérium du vrai Adeptat, bien que "pour disparaître" il ne soit pas nécessaire de s'envoler dans les nuages.

 

Ajoutons encore que si tout cela avait été du roman, Caracalla n'eût jamais élevé un temple à sa mémoire 251, Alexandre Sévère n'eût jamais placé son buste parmi ceux de deux demi-dieux et du vrai Dieu 252 et une impératrice n'eût pas entretenu une correspondance avec lui. A peine remis des fatigues du siège de Jérusalem, Titus ne se serait pas empressé d'écrire une lettre à Apollonius pour lui fixer rendez-vous à Argos, en ajoutant que son père et lui-même (Titus) lui devaient tout, à lui le grand Apollonius et qu'en conséquence sa première pensée était toute pour leur bienfaiteur. L'Empereur Aurélien n'aurait pas non plus élevé un temple et un sanctuaire à ce grand Sage, en reconnaissance de son apparition et de la communication qu'il fit à Tyane. Cette conversation posthume sauva la ville, comme tout le monde le savait, [V 152] puisqu'elle eut pour conséquence de faire lever le siège de la ville par Aurélien. De plus, si c'eut été un roman, nous ne le verrions pas confirmé dans l'Histoire par Vopiscus 253, un des plus véridiques Historiens Païens. Enfin Apollonius n'aurait pas été un objet d'admiration pour un homme d'un aussi noble caractère qu'Epictète et même par plusieurs Pères de l'Eglise. Jérôme, par exemple, dans ses meilleurs moments, écrivait au sujet d'Apollonius :

Ce philosophe voyageur trouva quelque chose à apprendre partout où il alla et comme il en profita partout, il fit journellement des progrès 254.

Quand aux prodiges qu'il accomplit, Jérôme, sans chercher à les sonder, les admet incontestablement comme tels, ce qu'il n'eût assurément jamais fait s'il n'y avait été contraint par les faits. Disons en terminant que si Apollonius n'avait été que le héros d'un roman, dramatisé  au IVème siècle, les Ephésiens, en témoignage de leur reconnaissance enthousiaste, ne lui auraient pas élevé une statue d'or, pour commémorer tout le bien qu'il leur avait fait 255.

[Cette Section, depuis le paragraphe commençant par "Comme la plupart des héros", etc., jusqu'aux mots Alexandre  Sévère, est pratiquement la même que la Section IV du manuscrit de 1886. Note de l'Editeur.]

251 Voyez Dion Cassius, XXVII, XXVIII, 2.

252 Lampridius, Adrien, XXIX, 2.

253 Le passage est ainsi rédigé ; "Aurélien avait décidé qu'il détruirait Tyane et la ville ne dut son salut qu'à un miracle d'Apollonius ; cet homme si fameux et si sage, ce grand ami des Dieux, apparut soudain aux yeux de l'Empereur, au moment où il regagnait sa tente, sous la forme et sous ses traits habituels et lui dit en langue Pannonienne : "Aurélien, si tu veux vaincre abandonne tes mauvais desseins contre mes concitoyens ; si tu veux commander, abstiens-toi de verser le sang innocent et si tu veux vivre, évite l'injustice." Aurélien, auquel étaient familiers les traits d'Apollonius, dont il avait vu les portraits dans plusieurs temples, fut émerveillé, fit vœu de lui consacrer une statue, un portrait et un temple et revint complètement à des idées de clémence." Vopiscus ajoute ensuite : "Si j'ai eu de plus en plus foi dans les vertus du majestueux Apollonius, c'est parce qu'après avoir tiré mes renseignements des hommes les plus sérieux, j'ai trouvé la corroboration de tous ces faits dans les livres de la bibliothèque Ulpienne". (Voyez Aurelianus, par Flavius Vopiscus.) Vopiscus écrivit en l'an 250 et par conséquent précéda Philostrate d'un siècle.

254 Ep. ad Paulinum.

255 Ce qui précède est en grande partie un résumé emprunté à de Mirville, VI, loc. cit., pp. 6-69.

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